Economie: Jean-Baptiste PANY (Economiste, Banquier et Sénateur) analyse la dette très onéreuse de la Côte d’Ivoire (ACTE-2)
Jean-Baptiste PANY est économiste, à l’origine, puis banquier de profession, il est par ailleurs Sénateur de la République de Côte d’Ivoire, élu de la région du Gbôklè. La dette ivoirienne est devenue préoccupante, tout le monde en parle sans en être spécialiste. L’économiste et banquier JBP éclaire des lanternes dans cette contribution qui sera publiée en 3 actes. ACTE-2.
II – La bonne tenue du PIB de la Côte d’Ivoire ne contredit-elle pas les inquiétudes exprimées ?
La dette recommence à croître beaucoup plus vite que les recettes propres encaissées par l’Etat, censées la rembourser. Le PIB semble être bien tenu, mais le reste ne doit pas importer peu (?).
1 – La réévaluation du PIB actée en 2020 semble suspecte, dans un contexte où l’État était quasiment au taquet de sa marge d’endettement et où cette réévaluation s’est faite« en silence »
Le stock préoccupant de la dette semble être bien corrélé uniquement qu’avec la hausse du PIB. Cependant, même à ce niveau il y’a une gêne. La dernière réévaluation du PIB (constatée en 2020) tarde encore à convaincre les plus sceptiques des ivoiriens, en ce qui concerne la pertinence et la réalité des données (détails pas encore suffisamment diffusés) qui ont soutenu la réévaluation à la hausse (correction des écritures comptables) du PIB effectuée « sans bruits ».
Étonnant, même les économistes et les universitaires chevronnés les plus critiques sont demeurés silencieux.
2 – Pourquoi l’agrégat « PIB » devrait faire l’objet d’une gouvernance particulière ?
La dette est autorisée lorsque le ratio (Dettes/PIB =< 70 %) est respecté. Si le PIB est manipulé ou calculé sans prendre certaines précautions, les erreurs de ceux qui ont la charge de le définir chaque année pourraient pénaliser toute la nation. La détermination et la diffusion de certains agrégats comme le PIB relèvent d’une responsabilité régalienne. Le PIB évalué sur l’ancienne base (SCN 1993) rendait insoutenable le stock de la dette dès 2022. La réévaluation a permis de lever cet obstacle. Curieux ! Le tableau ci-après éclaire mieux ce propos :
Exercice annuel | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021** | 2022** |
(Montant en Mrds XOF) | Réalisé | Réalisé | Réalisé | Réalisé | Estimé | Prévisions |
PIB nominal, ancienne base 1996 (ref. SCN 1993) | 22 151 | 23 900 | 25 955 | 28 308 | 30 868 | 33 628 |
PIB nominal, nouvelle base 1995 (ref. SCN 2008) | 29 955 | 32 222 | 34 299 | 35 311 | 38 439 | 41 951 |
70 % du PIB (base SCN 1993) | 15 506 | 16 730 | 18 169 | 19 816 | 21 608 | 23 540 |
70 % du PIB (base SCN 2008) | 20 969 | 22 555 | 24 009 | 24 718 | 26 907 | 29 366 |
Stock de la dette | 10 045 | 11 607 | 13 300 | 16 802 | 19 622 | 21 529 |
(**) Annexe 3 des lois fiscales (budget) 2020, 2021 et 2022
Remarque : sans la réévaluation prise en compte dès 2020 la dette envisagée en 2022 et celles après cette date auraient été théoriquement problématiques.
La réévaluation du PIB a permis d’améliorer la marge d’endettement de la Côte d’Ivoire dès 2021. Certifiée ou pas, cette réévaluation impacte le quotidien de tous, surtout celui du « petit peuple ». Puisqu’elle occasionne plus de dettes nouvelles pas forcément performantes, plus de services de la dette à rembourser sur ressources propres insuffisantes et une progression insatisfaisante des investissements comparé aux attentes des populations (c’est un constat historique).
Tout cela est vécu dans un contexte où la priorité logique est donnée auxremboursements de la dette et au financement des dépenses courantes (induites en partie par le train de vie étonnant de l’Etat).
Toutes ces charges sont incompréhensibles pour le petit contribuable ivoirien dont le quotidien se dégrade dans un environnement de cherté de la vie et de surchauffe progressive du front social mal anticipée, accentuée par les menaces sécuritaires, le pillage des forêts, la pression de l’immigration admise comme un sujet tabou malgré son poids évident sur le budget de la nation.
III – Pourquoi la procédure de réévaluation du PIB doit être rendue transparente ?
Certains diront que la réévaluation du PIB attendue du fait de l’obsolescence des procédures et des sources de données est normale. Personne pour certifier cependant que la bascule a été correctement menée. Curieux !
Les salaires sont demeurés quasiment identiques sinon sont en baisse si l’inflation est prise en compte. Les revenus individuels des agriculteurs sont encore miséreux. Le secteur informel demeure une grosse énigme et une fabrique à pauvres encore difficile à cerner. Pourtant le PIB « sur papier » est désormais estimé à FCFA 38 439 Mrds en 2021 contre l’ancienne référence qui le projetait à FCFA 30 868 Mrds à la même période. Le PIB (FCFA 12 113 Mrds en 2011) en une décennie a plus que triplé, la dette aussi.
Le spectre de la crise grecque (2009-2019) et celui de la crise mozambicaine de la « dette cachée », n’aident pas cependant à apaiser les plus sceptiques des analystes en ce qui concerne la confiance à avoir dans les chiffres actés sans un débat public ou une information parlementaire. Ce débat n’était pas pourtant superflu, vu que l’impact de la mesure de réévaluation du PIB a été une hausse de sa valeur de 38,2 % en 2015. Ce niveau n’est ni négligeable, ni neutre concernant l’évaluation de celui du stock de la dette présenté avec enthousiasme comme étant « bien tenu ».
Le tableau ci-après, dont l’auteur attribue les données aux lois de règlements et aux lois de finances de la Côte d’Ivoire sur la période, justifie l’inquiétude autour de lagouvernance de la dette souveraine de la Côte d’Ivoire, et de la politique du PIB.
Quelques indicateurs macroéconomiques en rapport avec la dette souveraine et les revenus propres encaissés par l’Etatde la Côte d’Ivoire.
Exercice annuel | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021** | 2022** |
(Montant en Mrds XOF) | Réalisé | Réalisé | Réalisé | Réalisé | Estimé | Prévisions |
PIB nominal, ancienne base (1996) (Ref. SCN 1993) | 22 151 | 23 900 | 25 955 | 28 308 | 30 868 | 33 628 |
PIB nominal, nouvelle base(1995) (Ref. SCN 2008) | 29 955 | 32 222 | 34 299 | 35 311 | 38 439 | 41 951 |
Différence (plus-value de réévaluation) | 7 804 | 8 323 | 8 344 | 7 003 | 7 571 | 8 323 |
Budget général de l’Etat (Rapport CC)* | 7 117 | 6 932 | 7 727 | 9 494 | 8 399 | 9 901 |
Recettes budgétaires propres (: hors endettement, dons, subventions et ressources exceptionnelles) | 3 706 | 3 966 | 4 283 | 4 368 | 4 843 | 5 442 |
dont recettes fiscales | 3 077,8 | 3 203,3 | 3 462,0 | 3 637,8 | 4 778,9 | 3 946,1 |
Recettes propres en % budget global réalisé | 52% | 57% | 55% | 46% | 58% | 55% |
Stock de la dette | 10 045 | 11 607 | 13 300 | 16 802 | 19 622 | 21 529 |
dont dettes non libellées en FCFA | 5 770 | 7 613 | 8 868 | 10 757 | 12 279 | 12 671 |
dont dettes non libellées en FCFA en % | 57% | 66% | 67% | 64% | 63% | 59% |
I – Annuité de la dette | -1 973 | -1 685 | -3 066 | -2 733 | -2 133 | -3 061 |
dont charge d’intérêt | -416 | -461 | -570 | -743 | -803 | -1 016 |
Poids du service de la dette sur le budget national exécuté | -28% | -24% | -40% | -29% | -25% | -31% |
Solde des Recettes propres après le payement du service de la dette | 1 790 | 2 280 | 1 217 | 1 635 | 2 710 | 2 381 |
II – Dépenses courantes | -2 768 | -2 763 | -2 895 | -3 552 | -3 498 | -3 498 |
Solde des Recettes propres après le payement du service de la dette & les dépenses courantes | -978 | -484 | -1 678 | -1 918 | -788 | -1 117 |
III – Dépenses d’investissements | -1 406 | -1 436 | -1 360 | -1 769 | -2 163 | -2 163 |
investissements prévus sur ressources intérieures | 805,1 | 780,0 | 840,1 | 1 108,9 | 957,8 | 957,8 |
Investissements intérieures / Ressource propres (norme à >20= %) | 26% | 24% | 24% | 30% | 20% | 24% |
Source : extraits des lois de règlement et des lois de finances de la Côte d’Ivoire de 2015 à 2021/2022.
(*) Rapport Cour des comptes
(**) Loi des finances, Annexe 3
IV – Pourquoi l’évolution des recettes propres de l’État quoique triplées en 10 ans est jugée peu satisfaisante ?
Le tableau précédentrappelle les erreurs grecques et suscite plusieurs remarques dont celles ci-après :
1 – Les performances insatisfaisantes de collecte de ressources propres n’autorisent pas la dette actuelle, ni certaines charges comme la masse salariale observée au budget
Les recettes budgétaires propres sont encore peu satisfaisantes en effet. 52 à 58 % des ressources propres collectées couvrent insuffisamment et avec grande peine les besoins budgétaires incompressibles ou essentiels. Dans cette dynamique, les faibles performances fiscales n’autorisent pas la masse salariale prévue au budget. Oscillant autour de 50 % des recettes fiscales celle-ci est observée excessive et contraire à la norme communautaire qui la limite à 35% des performances fiscales.
Or les puristes semblent indiquer que ce sont les ressources propres collectées par l’Etat qui doivent servir en priorité à honorer le service de la dette et les autres dépenses incompréhensibles, sauf erreur.
Du coup, les adeptes du ratio Endettement/PIB < 70 % qui poussent l’Etat à poursuivre la stratégie de faire financer ses besoins budgétaires peu productifs de richesses par une dette correspondant à 70% du PIB déclaré, s’en trouvent gênés. D’ailleurs il est délicat d’admettre la seule norme de 70% du PIB comme repère de bonne gouvernance de la dette souveraine. Pourquoi 70% et non 6 % ou 160% du PIB ?Rappelons aussi qu’avant d’être porté à 70%, ce ratio de la dette était à l’origine fixé à 60%.
La gêne des défenseurs du ratio « Endettement/PIB < 70% » s’avèrerait encore grande, si l’on considère que la réforme du PIB a été effectuée dans un contexte encore à clarifier (?). Cette « technique » quoique pertinente dans la forme et induite par les recommandations du système de comptabilité national adopté par l’ONU en 2008, pousse l’endettement actuel vers un stock inquiétant et encore inefficace de FCFA 21 529 Mrds à l’horizon 2022. Cette hausse du PIB semble déconnectée, du moins elle semble être faiblement corrélée avec la croissance des recettes propres encaissées par l’Etat.
2 – Le stock de dettes souveraines est appelé à être remboursé tôt ou tard par les recettes propres attendues dans les caisses de l’Etat.
Dix (10) ans après les initiatives PPTE et IADM, la préoccupation devient stressante dans un contexte où la dette publique croît encore plus vite que les recettes propres encaissées au budget de l’Etat. Le constat révèle surtout (comme avant la décennie précédente) que la hausse de la dette publique sert en priorité à financer les dépenses de remboursement du stock de la dette ainsi que les dépenses budgétaires courantes aggravées par le train de vie de l’État, alors que le pays souffre d’une insuffisance pénalisante d’investissements de survie.
La BCEAO concernant la gouvernance prudente adossée aux flux de ressources propres a pourtant donné la voie à suivre, elle qui indexe son soutien budgétaire à 20 % des performances de collecte de ressources propres de l’Etat. Cela semble illogique de constater que pour lever les autres dettes (en dehors de celles de la Banque centrale_BCEAO), c’est une autre référence- et non la performance des ressources propres- qui est quasiment seule mise en avant. La dette publique produit pourtant les mêmes effets!
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