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Soutien au troisième mandat de Ouattara: Les faiblesses des arguments de Macron… il court le risque de créer ou exacerber un sentiment anti-français (Par Abel Doualy)

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ADO MACRON

Qu’est-ce qui a bien pu piquer le président Emmanuel Macron pour qu’il raisonne pire que nous autres Nègres (au sens péjoratif) en matière de respect des lois en Afrique ? Sa déclaration faite dans la dernière parution de Jeune Afrique sur la candidature anticonstitutionnelle du président Alassane Ouattara à la présidentielle du 31 octobre dernier a laissé pantois plus d’un. Macron a fait des affirmations qui ne l’honorent pas en sa qualité de président de la grande France des valeurs démocratiques depuis des siècles. Quelles sont ces affirmations ? Citons-en deux :

PREMIEREMENT : Le président Macron trouve qu’il y a une différence entre le cas guinéen de violation de la Constitution par Alpha Condé pour se maintenir au pouvoir et celui de la Côte d’Ivoire avec Alassane Ouattara. Il trouve qu’en Guinée, la violation a été préméditée en modifiant la Constitution à cette fin. Et qu’en Côte d’Ivoire, Ouattara bénéficie d’une circonstance atténuante.

Mais quand il explique cette circonstance atténuante, le président français ne s’appuie pas sur des arguments juridiques mais sur un fondement émotionnel. A savoir qu’après le décès le 8 juillet 2020 de celui qu’il avait désigné comme candidat, en la personne du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, Alassane Ouattara n’avait plus une autre solution. C’est-à-dire qu’il n’avait plus sous la main un autre cadre du Rhdp digne d’être candidat à la présidentielle, parce que lui Ouattara ne l’a pas formé pendant des années comme il l’aurait fait pour le défunt candidat désigné. Une grosse injure à l’intelligence de tous ces jeunes cadres ivoiriens qui le suivent et lui vouent un véritable culte. Mais ça, c’est leur cuisine interne au Rhdp, dirait-on. 

Là où l’affirmation d’Emmanuel Macron est d’une rare gravité pour l’ensemble des Ivoiriens, c’est qu’elle émane d’un président jeune et sorti d’aucune écurie de vétérans. Un président qui a surpris toute la classe politique française par sa témérité et sa verve. Comme un indépendant, il n’avait aucun parrain politique à l’ombre de qui il a fait ses classes. Il est sorti, on peut le dire, du néant et a été élu par les Français. Comment un tel président peut-il cautionner la thèse selon laquelle on ne peut pas gouverner un pays tant qu’on n’a pas été parrainé par un devancier qui vous nourrit au biberon et vous porte à bout de bras jusqu’au Palais présidentiel ?

En outre, le président français dit qu’Alpha Condé a modifié sciemment la Constitution pour se maintenir au pouvoir alors que Ouattara a, lui, fait savoir qu’il ne se présentait plus pour un troisième mandat n’eût été le cas de décès du candidat désigné. Mais en faisant une telle affirmation, il ne se pose pas la question de savoir pourquoi Ouattara prétexte de ce que la modification de la Constitution intervenue le 8 novembre 2016 l’autorise à briguer un autre mandat qu’il appelle malicieusement « premier mandat de la IIIème République » ?

EN 2016, OUATTARA S’OUVRAIT SUBREPTICEMENT UNE VOIE DE SORTIE POUR UN TROISIEME MANDAT

C’est dire qu’en modifiant la loi fondamentale en 2016, Ouattara s’ouvrait subrepticement une porte de sortie pour un autre mandat après ses deux premiers quinquennats. Ceci est une forme de préméditation. En tout état de cause, ce que le président français devrait savoir, c’est que la Constitution ivoirienne en son Article 55 limite le nombre de mandats présidentiels à deux. Et qu’aucune exception n’a été prévue ni par le Rédacteur du texte de loi ni par le Législateur. C’est dire que « le cas de force majeure », que Ouattara a brandi pour justifier un troisième mandat et auquel le président français a mordu, est une ruse rapidement balayée par l’esprit et la lettre de la Constitution de 2016. Qui, du reste, est l’œuvre de Ouattara lui-même.

Mieux, cette Constitution (modifiée) de 2016 prévoit expressément une disposition (l’Article 183 relative à la Continuité législative) qui stipule que les clauses contenues dans la Constitution de 2000 et reprises par celle de 2016 restent en vigueur. Or la limitation de mandats prescrite en 2000 est reconduite en 2016. Elle est donc en vigueur et n’admet aucune exception, aucun cas de force majeure. Cela, nous l’avons écrit et réécrit dans nos colonnes. En vain. Que Macron aille sur le Net ; il y trouvera la Constitution ivoirienne pour se rendre compte de la véracité de tout ce que nous disons.

DEUXIEMEMENT : Emmanuel Macron explique aussi le refus de certains présidents de quitter le pouvoir par la peur d’être sans statut et de faire l’objet de poursuites judiciaires une fois qu’ils ne sont plus aux affaires. Là aussi, pourquoi Macron peut-il dire ça ? Pourquoi ? Oublie-t-il que sous son règne, Nicolas Sarkozy, fait l’objet de poursuites judiciaires en France ? Et que sous Sarkozy le Vieux Chirac était, lui aussi, traqué par la Justice ?

C’est dire que les poursuites judiciaires contre les anciens chefs d’Etat ne sont pas l’apanage de l’Afrique. C’est la raison pour laquelle, qu’on soit en Occident ou en Afrique, ce qui est demandé aux dirigeants, c’est d’éviter les dérives et autres abus de pouvoir quand ils sont à la tête de leurs pays. Et en la matière, l’on citera jamais assez cette belle vérité d’une sénatrice du Rhdp, Mah Sogona Bamba, qui disait : « (…) N’oublions pas que ce que l’on fait lorsqu’on est au pouvoir, c’est exactement et point par point, ce que l’on va récolter quand on n’y sera plus (…) ». 

Contrairement aux affirmations, très peu soutenues du président français, il existe bel et bien en Afrique des anciens présidents qui sont libres de leurs mouvements et qui vivent décemment dans leurs pays respectifs sans aucune crainte de quoi que ce soit. Même dans la sous-région ouest-africaine, ils sont légion. Mais citons-en juste quelques-uns : Goodluck Jonathan et OlusegunObasanjo du Nigeria ; Nicéphore Soglo et Boni Yayi du Bénin ; John Drahamani et John Kufuor du Ghana, pour ne citer que ceux-là. Sans oublier Henri Konan Bédié en Côte d’Ivoire même si ce dernier est toujours dans la course à la présidence pour avoir été victime de coup d’Etat en 1999 qui l’avait empêché de faire ses mandats constitutionnels.

CEUX QUI ONT PEUR DE QUITTER LE POUVOIR SONT CEUX QUI FONT DE LEUR REGNE UN VERITABLE CALVAIRE POUR LEURS CONCITOYENS

Ceux qui ont peur de quitter le pouvoir, et qui tripatouillent les Constitutions pour se maintenir, sont justement les dirigeants qui font de leur règne un véritable calvaire pour leurs concitoyens en général et singulièrement pour leurs opposants. De peur de subir à leur tour ce qu’ils font subir aux autres, ces despotes et autres dictateurs refusent de céder le fauteuil présidentiel qu’ils considèrent comme un patrimoine à la disposition de leur clan.

En prenant fait et cause pour les présidents qui s’accrochent au pouvoir et en demandant à l’Union africaine de se pencher sur le sort des anciens chefs d’Etat en Afrique, Macron se trompe de combat alors qu’il affirme ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures des Etats africains. Et cela est surprenant pour qui connaît le jeune président français réputé être un homme de vérité et de pertinence dans les arguments.

Si Macron veut se faire prendre au piège du « grand-frérisme » (respect absolu pour l’aîné sans le moindre discernement) à l’égard des chefs d’Etat africains, qui sont quasiment tous ses aînés de plusieurs années ; s’il veut croire aux contrevérités de ceux qui courent lui faire croire à l’Elysée qu’ils sont les seuls à même de maintenir la stabilité dans leur pays et la sécurité des Français et de leurs biens ; s’il se fait prisonnier des opérateurs économiques de son pays qui sont en connexion d’affaires avec des régimes corrompus d’Afrique, alors il court le risque de créer ou exacerber un sentiment anti-français et de se mettre en porte-à-faux avec les peuples africains. Qui, pourtant, ont une longue histoire d’amour avec la France, comme Macron le dit lui-même.

Si l’histoire a retenu de Charles De Gaulle qu’il fut « le pédagogue et l’artisan de la décolonisation en Afrique », si de François Mitterrand, l’on retient qu’il fut le détonateur du multipartisme en Afrique noire francophone au début des années 1990 avec son mémorable discours de la Baule (20 juin 1990), Emmanuel Macron, en se montrant complaisant avec les dictatures des temps nouveaux en Afrique et complice de leurs dérives, pourrait se faire passer pour le fossoyeur des grandes valeurs de démocratie, de liberté et de respect des droits de l’Homme qui font la force et la grandeur de la France.

Quelle force le président français aura-t-il désormais de parler de « respect de l’ordre constitutionnel» quand lui-même encourage la violation des Constitutions sous quelque prétexte que ce soit ? Car s’imposer en violant la Constitution et en dressant les forces de sécurité contre le peuple qui proteste contre cette violation n’équivaut-il pas à s’imposer par la force et les armes ? Tous deux sont des coups d’Etat en ce sens que le bénéficiaire s’installe indûment dans le fauteuil présidentiel. Quoi qu’on dise. En voulant coûte que coûte soutenir Alassane Ouattara dans son troisième mandat, le président Macron, en manque d’arguments, fait des affirmations qui sont loin de convaincre même les plus crédules des hommes.

ABEL DOUALY

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