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Inédit/Georges Amani écrit à FHB: «Nous (houphouëtistes) devrions avoir honte de n’être pas des dignes héritiers»

Monsieur le Président,

Je vous lis, tête baissée, cette lettre écrite sous la dictée de ma conscience et de celle de beaucoup d’Ivoiriens, peut-être de tous, qui vivent comme moi notre honteuse irresponsabilité devant votre mémoire.

Que n’avez-vous pas dit, et que n’avons-nous pas entendu, de toutes vos interpellations et mises en garde sur le respect des valeurs dont, entre autres, le dialogue, la solidarité, l’union des fils et filles de la Côte d’Ivoire, la tolérance, la reconnaissance, la compassion, l’humilité, le courage, l’amour inconditionnel de la vérité, l’hospitalité.

Toutes ces valeurs que vous incarnez et qui constituent le socle de votre vision politique que nous avons consigné sous le chapitre « Houphouëtisme ». Il est vrai que vous n’avez pas voulu nous dicter le contenu de ce concept, mais votre message à propos était très compréhensible quand vous avez dit, le 14 octobre 1985, en réponse à un journaliste, pendant votre conférence de presse à l’hôtel Ivoire, qui vous demandait d’écrire sur l’houphouëtisme: «Je n’ai jamais parlé d’houphouëtisme» et vous avez ajouté «les deux auteurs les plus lus dans le monde sont Jésus et Mahomet. Chacun n’a pas écrit un mot, même pas une seule lettre », et vous avez conclu en disant que votre politique s’inspire de votre pragmatisme doublé d’humanisme que l’on veut désigner Houphouëtisme et donc « vous tous qui êtes ici présents et ailleurs, jeunes et vieux, journalistes et historiens, témoins de ma politique, écrivez sur l’houphouëtisme».

En restituant le souffle de vie à l’univers le 7 décembre 1993, vous aviez le sentiment d’un devoir accompli, et ce n’est pas faux. Car il ne restait aux Ivoiriens que de copier votre mode de vie. Médecin, vous avez eu le courage de risquer votre carrière en écrivant en 1932 un article de presse sous le titre « On nous a trop volés ».

Vous avez poursuivi vos actions de lutte contre l’injustice en déclenchant la grève pour la non vente du cacao. Intellectuel et notable local, vous avez refusé la nationalité française que l’on vous proposait avec insistance pour maintenir les indigènes sous l’oppression coloniale. Les exemples de votre courage, de votre humanisme, de votre humilité sont légion. Bien sûr, Monsieur le Président, vous n’avez pas fait tout avec réussite et je ne peux avoir ici, malgré mon admiration et mon adhésion à votre philosophie politique, l’outrecuidance de dire qu’en 60 ans d’activités politiques, vous avez fait un parcours sans faute.

D’ailleurs vous m’en tiendrez rigueur quand je sais que toute oeuvre humaine est perfectible. Mieux, vous nous rappeliez souvent que même Dieu n’a pas l’affection unanime de toutes ses créatures. Soit, mais vous avez largement mérité de la Côte d’Ivoire et c’est nous qui devrions avoir honte de n’être pas des dignes héritiers.

Oui Monsieur le Président, c’est dur de le dire, mais la réalité est que l’houphouëtisme n’a plus l’éclat qu’il avait.

Le concept est galvaudé et ne reflète plus aucun rayonnement. La paix n’est plus notre seconde religion et le dialogue a perdu toute élégance. La désinvolture, l’arrogance, l’insolence s’inscrivent en première place dans le portrait de l’Ivoirien. Comment en sommes-nous arrivés-là: un pays politiquement déchiré et les populations prêtes à en découdre pour si peu.

Monsieur le président, en cette journée souvenir de votre départ dans l’au-delà, un seul mot. Pardon! Oui, Pardonnez-nous, Monsieur le président, nous vous avons offensé car nous avons dilapidé le riche héritage que vous nous avez laissé.

De là où tu es, accorde-nous ton pardon, éclaire encore les acteurs politiques pour que la cohésion sociale redevienne une réalité. Tu nous avais bien prévenus: « Un jour viendra où vous allez me chercher avec torche en pleine journée ». Hélas !

Georges Amani