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Côte d’Ivoire-Opinion: «Opposition, allons aux législatives, livrons cette bataille comme celle de notre vie, sinon…» (Séraphin Kouamé)

Dans l’une de mes chroniques précédentes, publiée quelques jours après le lancement du mot d’ordre de désobéissance civile, j’exhortais l’opposition significative à concocter un plan B, dont la finalité était d’éviter de boycotter le scrutin du 31 octobre 2020.

Ce plan consistait à faire bloc autour du chef de l’opposition, SEM Henri Konan Bédié, plébiscité quelques semaines plutôt comme candidat du PDCI-RDA, en présence d’un demi-million de militants et sympathisants sur-motivés.

En clair, il fallait aller à l’élection, si, malgré la désobéissance civile, Alassane Ouattara s’entêtait à violer la Constitution pour un troisième mandat illégal et à ne rien céder sur les exigences de transparences du processus électoral. Convaincu de cette approche, j’ai écrit une lettre ouverte aux Gbagbo ou rien (GOR) pour les inciter à oublier nos guéguerres et à soutenir la candidature unique du président Bédié, l’impératif étant le salut de notre Nation.

Ma proposition, minoritaire au sein des directions des partis politiques mais largement majoritaire chez les électeurs, se fondait sur l’adage selon lequel la politique de la chaise vide est toujours perdante en politique. En l’occurrence, le danger contre lequel je mettais en garde était de démobiliser les militants et sympathisants quant à la suite du combat.

A vrai dire, je ne croyais pas que la pression de la rue pouvait faire partir Alassane Ouattara, dans l’hypothèse du boycott du scrutin par l’opposition. Par contre, j’ai toujours été convaincu que le peuple allait massivement sortir dans la rue et braver n’importe quel danger, si on lui volait son vote. Ce qui change dans cette seconde hypothèse, c’est que le peuple aurait eu quelque chose de concret à défendre: son vote volé.

Kouame Yao Seraphin Brobo

Quant aux leaders de l’opposition, ils auraient eu une légitimité à revendiquer une transition. Car, comme je le faisais remarquer en son temps, notre Constitution ne prévoit pas de transition sans le président en exercice, en cas de non tenue de l’élection présidentielle à l’échéance légale. C’est ce vide juridique qui a causé la perte du Conseil national de Transition (CNT).

Dans la lecture que faisaient les partisans jusqu’au-boutistes du boycott actif, il y a une donnée qui leur a échappée. C’est qu’en matière de pouvoir d’Etat, la politique est au-dessus du juridique, comme le fait si bien remarquer Jean Baudouin. C’est ce qui explique qu’un putschiste puisse finalement revendiquer la légitimité de gouverner, malgré le viol originel de la Constitution et de l’Etat de droit.

La vérité en Côte d’Ivoire, aujourd’hui, est que c’est bien Alassane Ouattara qui possède la réalité du pouvoir. Ni les lamentations de l’opposition sur l’illégalité de sa candidature et l’illégitimité de réélection ni les déclarations contre la reconnaissance de son pouvoir usurpé ne changeront rien, tant qu’elle n’agit pas pour le dégager de là. Or, le dégager par la rue, n’étant plus une option viable, que reste-t-il à l’opposition ?

Il est temps de laisser de côté les émotions et les complaintes, et de regarder la réalité dans les yeux. L’opposition n’a, certes, plus toutes ses cartes en mains, mais il lui en reste au moins une: contrôler le parlement. De grâce, que les adeptes de la politique de l’autruche ne me parlent pas de fraude. La crainte de la fraude nous a déjà coûté la présidentielle : ça suffit.

Nouveau découpage ou pas, nouvelle CEI ou pas, il faut aller aux élections législatives. On sait tous maintenant que le RHDP ne pèse même pas 10% de l’électorat. On ne va pas refaire la même erreur de penser qu’Alassane Ouattara va ajourner le vote, parce que nous aurons choisi de le boycotter, et ce pour rester logique dans notre démarche de contestation. Penser qu’il n’est pas cohérent d’accepter d’aller aux législatives dans les mêmes conditions que la présidentielle que nous avons boycottée, c’est oublier que les données ont changé. L’élection présidentielle concerne le pouvoir exécutif. Or, celles qui se profilent concernent le pouvoir législatif.

La séparation des pouvoirs théorisée par Montesquieu, il y a environ trois siècles, est un argument solide pour ne pas boycotter les joutes parlementaires. L’opposition a essayé une stratégie qui n’a pas marché. Certes, Alassane Ouattara a confisqué le pouvoir exécutif, mais tout n’est pas perdu : l’opposition peut et doit prendre le pouvoir législatif. Des gens sont morts, d’autres sont en prison ou en exil. Va-t-elle faire l’imbécile pour reprendre une stratégie qu’elle sait vouée, d’avance, à l’échec ? Elle a le choix entre mourir sans tirer sa dernière cartouche et essayer de rester en vie en appuyant sur la gâchette. Comme l’enseignent unanimement les motivateurs, il y a pire que d’échouer, c’est de ne pas essayer de réussir.

Allons donc aux législatives. Livrons cette bataille comme celle de notre vie. Oui, c’est le combat de notre vie. Car si nous échouons et pire, si nous n’y allons pas, c’est la catastrophe pour notre pays, avec la mort de tout espoir de démocratie.

Pour le dire en mots simples, ce sera la fin du multipartisme, avec le démantèlement certain des grands partis que sont le PDCI-RDA et le FPI. Ce sera l’avènement du parti unique et du parti-Etat. Ce sera la fin de la République. Bref, ce sera l’apocalypse, l’enfer, la géhenne. La Côte d’Ivoire changera de régime pour devenir un royaume ou un empire. La dictature qui nous guette au quotidien sera une âpre réalité.

Allons aux législatives. Avec le score du PDCI-RDA, du FPI, et de l’UDPCI et une participation honorable des autres ténors, l’opposition peut rafler la majorité au parlement ou, à tout le moins, à l’assemblée nationale. Si elle perd pour cause de fraude – c’est, en effet, la seule cause qui peut la faire perdre –elle gagnera, tout de même, la remobilisation de ses troupes, la survie des partis politiques et partant le droit de continuer le combat politique qui par définition ne prend jamais fin.

Allons aux législatives. Mais, comme le dit Gnamien Konan, allons avec nos têtes. Réfléchissons pour mettre une stratégie gagnante en place.

Dans cette optique, je souscris entièrement à la proposition de choisir un seul candidat de l’opposition, par circonscription, et de le voter massivement.

KOUAME Yao Séraphin

Maire et délégué PDCI-RDA de Brobo

Chercheur en Science politique