Aimée Zébéyoux SEDH

Affaire ‘‘Côte d’Ivoire-CADHP’’ : Aimée Zébéyoux (SEDH) fait des révélations-vérités sur la compétence de la Cour africaine et la Justice ivoirienne (Interview)

Affaire ‘‘Côte d’Ivoire-CADHP’’ : Aimée Zébéyoux (SEDH) fait des révélations-vérités sur la compétence de la Cour africaine et la Justice ivoirienne (Interview)

 

Pour mettre fin au débat qui a cours sur le retrait de sa déclaration de compétence à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) par la Côte d’Ivoire, Mme Aimée Zébéyoux, Secrétaire d’Etat chargée des droits de l’homme en Côte d’Ivoire, est montée au créneau. Interview.

 

Depuis le 29 avril 2020, la Côte d’Ivoire a retiré sa déclaration de compétence à la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Quand est-ce que la Côte d’Ivoire a opté pour la déclaration d’acceptation de la compétence de la cour ?

Il est bon de noter que le protocole portant création de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples a été adopté le 10 Juin 1998, par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Organisation de l’Unité Africaine à Ouagadougou.

Il est entré en vigueur le 25 Janvier 2004 après sa ratification par plus de quinze       (15) Etats africains dont la Côte d’Ivoire. A ce jour, plus de trente Etats ont ratifié ce protocole sur 55, et seulement 10 ont fait la déclaration d’acceptation de la compétence.

C’est le 19 juin 2013 que la Côte d’Ivoire a fait l’option de la déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.

Il nous faut comprendre que l’acte de ratification du protocole instituant création de la Cour Africaine et celui de la déclaration d’acceptation de la compétence de ladite Cour sont deux actes complètement différents, de sorte que   l’Etat de Côte d’Ivoire demeure un Etat partie au mécanisme de la Cour Africaine et que le retrait de la déclaration ne remet nullement en cause l’attachement de l’Etat à la promotion et à la protection des Droits de l’Homme. 

Aimée ZEBEYOUX

 

En quoi consiste cette déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ? 

Il convient de souligner que le Protocole portant création de la Cour Africaine prévoit deux sortes de compétence :

une compétence obligatoire de cette Cour pour toutes les affaires portées par la Commission Africaine, par les Etats parties et par une Organisation Intergouvernementale Africaine ;

– une compétence facultative qui concerne les affaires soumises par un individu ou par une Organisation Non Gouvernementale (ONG). 

Cette dernière compétence résulte d’une déclaration expresse de l’Etat qui consiste à accepter la compétence de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples pour recevoir des requêtes introduites devant elle directement par les individus et les Organisations Non Gouvernementales (ONG), dotées du statut d’observateurs auprès de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. L’accès direct de ces entités à la Cour africaine est donc subordonné au consentement déclaré de l’Etat.

 

C’est tout le sens de la déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples prévue à l’article 34 (6) du Protocole.

 

Quelles sont les raisons qui ont poussé la Côte d’Ivoire à retirer sa déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour ?

L’Etat de Côte d’Ivoire considère que les décisions de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples portent non seulement atteinte à sa souveraineté, à son autorité et au fonctionnement de la justice, mais également, elles sont de nature à entrainer une grave perturbation de l’ordre juridique interne de l’Etat et ébranlent les bases de l’Etat de droit par l’instauration d’une véritable insécurité juridique. 

 

 

Quels sont les effets d’un tel retrait ? 

L’on peut aisément imaginer que le retrait de la déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour produira évidemment des effets à l’opposé de ceux résultant du dépôt d’une telle déclaration.

En conséquence du retrait de la déclaration émise conformément aux dispositions de l’article 34 alinéa 6 du Protocole portant création de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des peuples, les individus et les ONG ne seront plus autorisés à adresser directement des requêtes à la Cour Africaine.

Il ressort tout de même de la jurisprudence de ladite Cour que le principe de non rétroactivité est appliqué en la matière. Il s’en suit que toutes les décisions déjà rendues avant la notification de la décision de retrait ne sont pas remises en cause. De même, les affaires en cours avant le retrait de la déclaration continueront certainement d’être examinées jusqu’à leur terme.

 

Comment réagissez-vous à ceux qui soutiennent qu’en dépit du retrait, la Côte d’Ivoire devrait exécuter l’ordonnance portant suspension des mesures provisoires ?

La Côte d’Ivoire est un Etat de droit qui a toujours respecté ses engagements internationaux. Dans le même temps, le respect de ces engagements ne doit pas se faire au détriment de sa souveraineté. C’est pourquoi, l’Etat de Côte d’Ivoire n’exécutera aucune décision qui aurait pour effet d’attenter à sa souveraineté ou à l’autorité et au fonctionnement de sa justice.

 

Aimée

En quoi l’exécution de l’ordonnance portant suspension des mesures provisoires porte-t-elle atteinte à la souveraineté de l’Etat de Côte d’Ivoire ?

Notons que ces mesures provisoires portant sur les mandats de dépôts et le mandat d’arrêt, leur suspension émise par l’ordonnance de la Cour Africaine est une atteinte à la souveraineté de l’Etat de Côte d’Ivoire pour plusieurs raisons, entre autres :

La Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, exerce, c’est bien connu, une compétence subsidiaire.

Or, le principe de la subsidiarité opère une répartition claire des compétences et des responsabilités entre la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples et les juridictions nationales. Cela résulte, en particulier, de la règle de l’épuisement préalable des voies de recours internes, qui figure au nombre des conditions de recevabilité des recours devant la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples.

La Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples n’exerce donc pas, avec les juridictions nationales, une compétence concurrente, de sorte que les personnes alléguant de leurs droits ne disposent pas d’une option entre la saisine des juridictions nationales et la saisine de ladite Cour. Tous les recours internes disponibles et efficaces doivent avoir été épuisés avant toute saisine de la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples.

En l’espèce, la contestation sur les mandats de dépôt et le mandat d’arrêt qui a été déférée à la Cour Africaine était pendante devant les juridictions nationales compétentes, de sorte que les voies de recours définies par la législation ivoirienne n’avaient pas encore été épuisées.

En ordonnant à la Côte d’Ivoire de surseoir à l’exécution du mandat d’arrêt et des mandats de dépôts émis par les juridictions nationales compétentes avec obligation d’observer le statut quo ante jusqu’à ce qu’elle ait rendu sa décision sur le fond, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ne fait rien d’autre que s’immiscer dans le fonctionnement de la justice ivoirienne à laquelle elle tente de se substituer.

Il est important de rappeler que, conformément à l’article 143 de la Constitution, « la justice est rendue sur toute l’étendue du territoire national, au nom du Peuple de Côte d’Ivoire, par la Cour Suprême, la Cour des Comptes, les Cours d’Appel, les Tribunaux de Première Instance, les Tribunaux Administratifs et les Chambres régionales des Comptes».

Par ailleurs, en subordonnant l’examen, par les juridictions nationales compétentes, de procédures pendantes devant elles, à ses propres décisions, qu’elle n’a même pas encore rendues, la décision de la Cour Africaine revient, en réalité, à suspendre le fonctionnement de la justice, ce qui est de nature à entrainer un blocage inacceptable.

En tout état de cause, les mandats de dépôts ayant été régulièrement émis et exécutés, l’ordonnance de suspension de la Cour est sans objet en ce que la main levée desdits mandats relève de la compétence des juridictions internes.

En outre, quant au mandat d’arrêt, il était devenu caduque en ce que l’affaire ayant été portée devant le tribunal, l’ordonnance de suspension ne saurait s’appliquer.

 

Ne pensez-vous pas que cette décision de retrait de la Côte d’Ivoire pourrait porter un coup à son image en matière de promotion et de protection des Droits de l’Homme aux plans régional et international ?

L’image de la Côte d’Ivoire ne saurait logiquement souffrir de sa décision du retrait de la déclaration. C’est en toute souveraineté et responsabilité que notre pays a adhéré au Protocole portant création de la Cour Africaine et a fait la déclaration d’acceptation de la compétence. C’est également en toute souveraineté qu’il a décidé de retirer cette déclaration d’acceptation de la compétence en prenant le soin de motiver sa décision alors que le retrait pouvait se faire sans motif.

Nous demeurons tout de même un Etat partie à la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ainsi qu’à son Protocole additionnel relatif à la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, mais aussi à de nombreux instruments et mécanismes de protection et de promotion des droits de l’homme à l’échelle régionale, continentale et internationale.

A ce jour, la déclaration de reconnaissance de compétence de la Cour pour connaître des requêtes introduites devant elle directement par les individus et par les Organisations Non Gouvernementales n’est plus le fait que de 6 Etats sur les 55 que compte l’Union Africaine. Pourrait-on en déduire que les 49 autres Etats africains méconnaissent la promotion et la protection des Droits de l’Homme ? Il s’agit là d’une déduction hâtive dont il faut évidemment se garder.

Les obligations qui découlent, pour les Etats, de leur engagement en faveur des droits de l’Homme ne se résument pas à une déclaration de reconnaissance de compétence.

Il faut enfin rappeler que la Côte d’Ivoire enregistre beaucoup de progrès en matière de promotion et de défense des droits de l’Homme comme l’attestent les différents rapports présentés à l’Examen Périodique Universel (EPU).

Gilles Richard OMAEL avec Sercom SEDH