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3e mandat en Côte d’Ivoire : Professeur agrégé de Droit, Hubert Oulaye s’en mêle et crache ses vérités crues… «La Constitution actuelle et le droit constitutionnel ivoirien sont sans ambiguïté»

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3e mandat en Côte d’Ivoire : Professeur agrégé de Droit, Hubert Oulaye s’en mêle et crache ses vérités crues… «La Constitution actuelle et le droit constitutionnel ivoirien sont sans ambiguïté»

Le confrère ‘’La Voie Originale’’ a rencontré le professeur agrégé de Droit Hubert Oulaye, président du Comité de contrôle du FPI pour avoir son analyse sur les sujets brulant de l’actualité. Il s’agit de la radiation du président Gbagbo de la liste électorale, de son retour au pays et de la candidature de Ouattara pour un troisième mandat.

La Voie originale : La radiation du Président Laurent Gbagbo de la liste électorale par le CEI et la question de son éligibilité. Qu’en est-il ? Est-elle justifiée ? Une solution existe-elle ? Vous étiez récemment en visite à la CEI, aux côtés du Président de la Plateforme politique Ensemble pour la Démocratie et la Paix (EDS) à ce sujet.

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3e mandat en Côte d’Ivoire : Professeur agrégé de Droit, Hubert Oulaye s’en mêle et crache ses vérités crues… «La Constitution actuelle et le droit constitutionnel ivoirien sont sans ambiguïté» 10

Hubert Oulaye : La question de la radiation du Président Laurent Gbagbo, citoyen notoire de la République de Côte d’Ivoire a été pour nous militants du Front populaire Ivoirien, un grand sujet d’étonnement et d’indignation. Vraiment, comme l’avait dit un jour le Président Alassane Ouattara, la Côte d’Ivoire étonne et continue d’étonner les Ivoiriens et le monde. Malheureusement comme on le voit c’est de façon plutôt négative que nous étonnons le monde. Sujet d’étonnement d’abord parce qu’il n’existe aucune raison objective à la base de cette radiation de son nom, opérée en «catimini», qui le prive indûment de sa qualité d’électeur et subséquemment de son droit à l’éligibilité à tous les postes publics électifs dans son pays la Côte d’Ivoire. Tout le monde voit bien, que cela est fait à dessein, afin que cet homme politique redoutable et redouté, dont la popularité déjà avérée par le passé a aujourd’hui atteint des sommets insoupçonnés après son acquittement, ne puisse pas présenter de candidature à la prochaine élection présidentielle. Mais c’est peine perdue pour ceux qui fondent leur avenir politique immédiat sur une invalidation par avance de sa candidature. Effectivement, avec le Président de la Plateforme politique « Ensemble pour la démocratie et la souveraineté » (EDS), nous nous sommes rendus le lundi 10 Août 2020, au Siège de la Commission électorale indépendante pour nous enquérir des raisons avancées par cette Institution pour expliquer ce que nous considérons pour l’heure comme une erreur ou une simple omission. Il est ressorti de l’entretien avec le Président de la CEI, que le motif de la radiation procèderait de l’existence à son encontre d’une décision judiciaire de condamnation pour un « prétendu braquage contre la BCEAO », lequel aurait été opéré au cours de la crise postélectorale de 2010-2011. Un braquage qui aux-dires des tenants actuel du pouvoir aurait impliqué le Président Laurent Gbagbo, l’ancien Premier Ministre Aké N’gbo, les ex- Ministres de l’économie, Désiré Dallo et du Budget, Katina Koné. Un procès « curieux » organisé en 2018 auraient abouti à la condamnation de ces différentes personnalités à des peines de prison et des peines pécuniaires alors qu’il y a eu aucun braquage de leur part, ni de plainte à leur encontre de la part de la BCEAO, ni préjudice. L’Etat pour payer les salaires des fonctionnaires ayant dû, alors qu’il faisait face à une tentative d’étranglement économique et financier par la Communauté internationale, prendre des réquisitions auprès de la BCEAO.  Aux dires des avocats proches du dossier, le Président Laurent Gbagbo et le Ministre Koné Katina, absents du territoire, pour cause de procès à la CPI s’agissant du premier, et d’exil s’agissant du second, ont été jugés en matière correctionnelle, dans le cadre d’une procédure de défaut. Mais surtout, et cela est fondamental selon les avocats, deux fautes sont à relever à l’encontre de la décision de condamnation intervenue. D’abord le procès est frappé d’un vice à la base. Les accusés étant des anciens membres du gouvernement, la loi de 2005, prescrit des dispositions particulières à suivre obligatoirement s’ils devaient être poursuivis, arrêtés ou jugés. Ces dispositions ont été royalement ignorées par les juges qui les ont condamnés dans le mépris total de leurs qualités. Une faute qui met en cause la validité du procès et engage assurément la nullité de leurs condamnations.

La Voie Originale: A ce propos la première dame Simone parlait d’une loi d’amnistie ?

 H.O : Oui, le pouvoir, après ce forfait, a pris une loi en date du …..,  portant amnistie des faits….. liés à la crise postélectorale laquelle a effacé pour certains ces condamnations mais les a maintenues pour d’autres. Cette loi exclut curieusement, les militaires et les combattants civils, ainsi que les personnes en procès devant les juridictions internationales. Il s’agit bien sûr, du Président Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé en jugement à la Haye.  C’est certainement donc à cette loi d’amnistie, limitée à dessein par le pouvoir, que se référait madame Simone Ehivet Gbagbo lors de son point de presse du 5 août 2020, pour demander qu’elle soit étendue au Président Laurent Gbagbo à l’instar des autres condamnés du « prétendu braquage de la BCEAO » qui en ont bénéficié. Ce serait selon elle l’une des solutions possibles pour régler la question de la radiation du Président Gbagbo. Toutefois, telle n’est pas la lecture des avocats proches du dossier. Au stade actuel du dossier il n’est point besoin selon eux d’une loi d’amnistie car, en plus du vice qui normalement frappe de nullité et le procès et la décision de condamnation, d’autres éléments établissent sans discussion possible que la décision de condamnation dont essaie de tirer avantage et motif, le pouvoir, n’est jamais devenue définitive au plan de la procédure. En effet, alors que l’administration judiciaire savait parfaitement que l’accusé Laurent Gbagbo dont elle voulait entamer le procès se trouvait à la CPI, à la Haye, qu’il n’était donc pas en fuite, celle-ci n’a pas daigné lui servir en ce lieu une citation à comparaitre, ni notifié par la suite copie de la décision qui le condamnait par défaut. Toutes choses qui à ce jour n’ont pas permis à l’intéressé d’être informé de l’existence de ladite décision qui le condamne et de pouvoir exercer les droits de recours que lui donne la loi en pareil cas. Par conséquent la décision n’étant pas devenue définitive faute de respect de ces exigences légales minimales, la condamnation qui le frappe n’est pas non plus devenue définitive. Il s’en suit qu’elle ne lui est nullement opposable juridiquement et ne peut servir de fondement valable à sa radiation du fichier électoral. En principe donc, le pouvoir, compte tenu de cette réalité, est tenu de réinscrire son nom sur le fichier électoral. Nous avons grand espoir au FPI, que le pouvoir ne se fera pas coupable d’une forfaiture et corrigera l’omission.

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LVO: Le retour du Président Laurent Gbagbo. A quand ?

HO : Cette question est pour nous un autre grand sujet d’étonnement. Les graves évènements qui ont émaillé la crise postélectorale du sang de milliers de nos concitoyens ont conduit à rechercher les coupables des crimes les plus graves, qualifiés de crimes contre l’humanité. En Côte d’Ivoire deux camps ont été opposés durant la guerre. Il est normal que soient recherchés et jugés les personnes des deux camps suspectées d’être pénalement responsables des atrocités qui ont été commises à cette occasion.  Le Président Laurent Gbagbo et son ministre Charles ont fait l’objet durant près de huit ans, d’un procès devant la CPI, à l’issue duquel ils ont été acquittés de toutes les charges formées contre eux. Reste aujourd’hui le tour du camp adverse comme l’a promis la Procureure Fatou Bensouda. Comme diraient les ivoiriens, « chacun à son tour chez le coiffeur ». Les deux accusés acquittés, sont autorisés à regagner leur pays la Côte d’Ivoire, depuis le 28 juin 2020. Les autorités ivoiriennes qui ont procédé au transfèrement des deux accusés ont été officiellement informées du dénouement du procès par le Greffe de la CPI et ont été invitées à prendre les dispositions pour assurer leur retour en Côte d’Ivoire. Telle est la procédure normale en la matière lorsqu’un procès devant une juridiction internationale aboutit à l’acquittement d’un prévenu. Ce fut le cas pour l’accusé M’Bemba qui est retourné sans accroc dans son pays, au Congo Kinshasa, après son acquittement à la Haye. Malheureusement, c’est le silence total du régime sur le dossier du retour du Président Gbagbo et du Ministre Charles Blé Goudé. Peut-être craignent-ils pour leurs intérêts électoraux dans cette période qui précède la prochaine élection présidentielle ? Nul pour l’heure ne comprend ce mutisme observé depuis deux mois. En décidant de se rendre à l’Ambassade de Côte d’Ivoire en Belgique pour réclamer un passeport, diplomatique ou ordinaire ou à la limite un simple « laisser-passer », le Président Laurent a lancé aux autorités ivoiriennes un message clair. Il n’entend pas rester en exil après son acquittement, il veut rentrer en Côte d’Ivoire auprès des siens et y prendre toute la place que l’histoire lui réserve pour promouvoir la réconciliation entre les enfants de ce pays, comme il ne cesse de le répéter. Son retour s’impose à eux, car nul n’a le droit de contraindre un citoyen ivoirien à l’exil, selon l’article 22 de la Constitution. Nous osons espérer que ce message a été reçu cinq sur cinq par nos autorités.

LVO : Le troisième mandat d’Alassane Ouattara. Ouattara est-il éligible ?

HO: La réponse d’emblée est non ! La Constitution actuelle et de façon plus générale, le droit constitutionnel ivoirien, sont sans ambiguïté sur la non-éligibilité du Président Alassane Ouattara à un troisième mandat présidentiel en octobre 2020, même s’il se trouve des personnes qui tentent, par tous les moyens, de justifier cette troisième candidature qui pour l’heure, n’est rien d’autre qu’une violation de la loi fondamentale dont il a pourtant pris l’initiative en 2016. A cet égard, l’attitude de l’intéressé lui-même laisse l’observateur de la scène politique ivoirienne perplexe. Après avoir déclaré en 2015 au Libéria et en 2016 à Abidjan que la Présidente Ellen Sirleaf et lui-même n’avaient pas l’intention de briguer un troisième mandat et encore moins, de « tripatouiller » la Constitution pour effectuer un autre mandat ( Voir à ce propos,  l’agence de presse ALERTE INFO, le TOP 10 des déclarations d’Alassane Ouattara et de certains de ses proches, de 2015 à 2018) ; après avoir initié en 2016 une nouvelle Constitution qui a réaffirmé en son article 55, l’impossibilité pour un Président d’effectuer plus de deux mandats à la tête de l’Etat ; après avoir donné sa caution aux experts-rédacteurs du nouveau texte, qui ont entrepris d’expliquer et de rassurer les ivoiriens et l’opinion internationale, de l’impossibilité juridique d’un troisième mandat fondé sur ledit texte, voilà qu’il adopte une lecture inattendue, prenant littéralement à contre-pied les certitudes données et les assurances clamées jusque-là pour dire : « la Constitution m’autorise à briguer un autre mandat»! Nous ne nous attacherons en donnant notre avis, qu’aux seuls aspects juridiques de ce revirement spectaculaire. Je le dis tout net, à la suite du Pr Ouraga Obou, des Ministres Cissé Bacongo et Sansan Kambile ainsi que du Pr Bléou,  que je salue tous au passage pour la clarté et la pertinence des interventions « libres » qu’ils ont pu faire sur la question, ce revirement ne change rien à la lecture juridique qui s’impose à tout homme de droit : le Président Alassane Ouattara, qui sera au terme de ses deux mandats présidentiels autorisés au soir du 31 octobre prochain, est inéligible à un troisième mandat, tant au regard de l’article 35 de la Constitution du 1er août 2000 dont les effets se prolongent dans le temps, que de l’article 55 de la Constitution du 8 novembre 2016, qui impose pour valider une candidature à la présidence de la République, de prendre en compte le passé politique de tout candidat. Mais par-delà ces évidences juridiques, l’inanité de la thèse de « la remise des compteurs à zéro » (ou du premier mandat de la troisième République) peut aussi être démontrée par une approche juridique pragmatique. Pour faire bref et simple, il suffira d’abord de dire que les effets juridiques limitant de l’article 35 se prolongent dans le temps pour un ancien Président, quoiqu’il advienne, tout comme les titres et diplômes d’études obtenus au lycée par un élève lui sont attachés à vie et ne peuvent être niés ou effacés. C’est en cela que la réforme constitutionnelle béninoise de l’article 42 ancien devenu 47 nouveau, limitant les mandats présidentiels à deux, applaudie par beaucoup parce qu’elle évite les polémiques politiciennes que nous connaissons actuellement chez nous, par l’adjonction à l’ancienne formulation de l’expression « de toute sa vie », est juridiquement superfétatoire pour les puristes du droit. Mais en Afrique, où la mauvaise foi est la chose la plus partagée dans l’univers politique, cette expression est à sa place même si, techniquement, elle n’est pas une notion juridique. S’agissant de l’article 55 de la Constitution de 2016, sa force juridique est d’autant plus renforcée, qu’il reprend mot à mot (mutatis mutandis) l’interdiction d’un troisième mandat et que son applicabilité se ramène à la seule vérification que le candidat à la présidence remplit la condition prescrite. Combien de mandats a-t-il déjà effectué au moment où il fait acte de candidature ? Un mandat ou deux mandats ? La vérification qu’appelle cette conditionnalité conduit nécessairement à la rechercher dans le passé du candidat, sauf si une disposition expresse interdit le regard sur ce passé. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce, aucune des 184 dispositions de la Constitution n’interdit la vérification et la prise en compte du passé politique du candidat. Cette vérification est par conséquent obligatoire, tout comme s’impose la vérification de sa nationalité et de son âge minimal. Aucune des personnes soutenant la thèse de « la remise des compteurs à zéro » ne peut démontrer le contraire. Ainsi, la CEI et le Conseil constitutionnel, ne peuvent en aucun cas s’abstenir au regard de l’article 55 nouveau, de vérifier que la condition de la limitation des mandats autorisés, est remplie. Au total, autant l’article 35  que l’article 55, interdisent chacun, la possibilité d’effectuer un troisième mandat. Les tenants de la « remise des compteurs à zéro » prétendent cependant, que la Constitution dite de la 3ème République crée une rupture entre l’ordre constitutionnel ancien régi par la Constitution de 2000 et l’ordre Constitutionnel nouveau désormais régi par la Constitution de 2016. Ils en infèrent que là réside le fondement d’une « remise des compteurs à zéro » c’est-à-dire faisant table rase du passé politique du candidat Ouattara, dont les mandats déjà effectués par ce dernier. Prétendant apporter une réplique au Pr. Bléou qui soutient que « le décompte des mandats ne peut se faire à partir de la date d’avènement de la Constitution de 2016, mais plutôt pour compter de 2000, date de la consécration du principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels autorisés », le juriste Soumarey lui oppose ce qu’il tient pour «une rupture, totale et générale avec le passé, tant dans l’esprit et la lettre » qui aurait été opérée par la Constitution de 2016.  Mais il est bien difficile de souscrire à l’argumentaire de ce dernier. D’abord, il n’est pas inutile de rapporter qu’au Bénin en 2019, une réforme constitutionnelle est intervenue portant pratiquement sur les mêmes éléments qu’en Côte d’Ivoire (Vice-présidence, Chambre des Rois et Chefs traditionnels…), sans que cela ne soit vu comme induisant le passage d’une République à une autre. Les auteurs des réformes ont d’ailleurs tenu à le spécifier dans le texte de la Constitution. Ce qui n’est pas le cas en Côte d’Ivoire, où la qualification de 3ème République est d’ordre politique et non juridique.

Mais surtout, les ruptures supposées avec l’ordre juridique ancien de 2000, qu’il réfère, sont difficilement recevables et dans tous les cas ne sont ni totales, ni générales, encore moins fondamentales. Au plan politique, parler de nouveau contrat est un abus, lorsque l’on connait les conditions non démocratiques dans lesquelles cette Constitution a été élaborée et adoptée. Au plan institutionnel, quelle rupture fondamentale  apportent un Sénat dont l’utilité dans le travail parlementaire reste à démontrer, une Vice-Présidence décorative ou une Chambre des Rois dont la seule fonction est le soutien au Président de la République ?

En quoi par ailleurs, le nombre d’articles d’une Constitution est-il bouleversant au plan de l’organisation ou de la nature du régime constitutionnel, au point de constituer un élément de rupture ? Enfin, Mr. Soumarey fonde la rupture entre les deux ordres constitutionnels de 2000 et de 2016 sur, dit-il, le passage d’un « régime parlementaire mixte » à un « régime présidentiel mixte » ! Non, de 1960 à 2020, la Côte d’Ivoire a connu trois Constitutions qui toutes ont institué un régime présidentiel fort, qualifié de « présidentialiste » par les constitutionnalistes. Le régime ivoirien instauré en 2000 était un régime présidentialiste et non parlementaire, de sorte qu’il n’y a eu aucune rupture fondamentale de régime constitutionnel. La seule rupture que l’on peut concéder, mais dont Mr Soumarey ne fait pas cas, c’est la rupture démocratique d’avec le régime antérieur au regard notamment, de la nomination d’une partie des membres du Sénat qui sont des parlementaires, en violation du principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs.

Au total, aucune « rupture » n’est intervenue véritablement entre les régimes constitutionnels de 2000 et de 2016, qui puisse fonder juridiquement une remise des compteurs à zéro. D’ailleurs, une telle lecture aux conséquences gravissimes, ne saurait procéder de simples conjectures, mais être formalisée « techniquement » dans les dispositions finales de la Constitution. Il appartenait à l’initiateur ou aux experts-rédacteurs de l’inscrire dans l’une des nombreuses dispositions du texte.

Cela dit, au regard des principes en vigueur dans tous les pays, aucune loi nouvelle, qu’elle soit constitutionnelle ou infra constitutionnelle, n’induit une remise des compteurs à zéro, au sens où elle viendrait faire table rase de l’ordre juridique antérieur.

 Il est établi dans tous les systèmes juridiques dans le monde, que « la loi nouvelle vaut pour l’avenir, elle n’a point d’effet rétroactif ». Ce principe de sécurité juridique, connu de tous les juristes signifie que la loi nouvelle s’applique immédiatement aux situations juridiques postérieures à son entrée en vigueur. Elle doit s’appliquer pour l’avenir sans remettre en cause le passé, notamment les situations juridiques constituées avant son adoption, ainsi que les effets passés de celles-ci. Elle  régit en revanche, les effets futurs d’une situation juridique constituée avant son adoption. En d’autres termes, la loi ancienne ne disparait pas systématiquement du fait de l’avènement d’une loi nouvelle.

En clair, cela signifie que l’adoption de la Constitution de 2016 ne met pas fin de façon systématique à l’ordre constitutionnel de la Deuxième République. Elle ne remet pas les compteurs à zéro comme le pensent certaines personnes. Le prétendre c’est en ignorer les graves conséquences.

Cela reviendrait à dire que tout l’ordonnancement juridique antérieur rattaché à la Constitution de 2000 (la constitution, les lois et décrets…, les actes et situations juridiques constitués) est devenu caduc et que la société et l’Etat font face à un vide juridique : les institutions sont dissoutes en droit, et doivent être rétablies sur des bases nouvelles par des élections ou des nominations ; il n’y a plus de lois donc plus de décrets ; les contrats doivent être renégociés, les mariages re-célébrés…etc. En un mot, la vie sociale s’arrêterait pour ne reprendre qu’après l’adoption de nouvelles lois. Même les prisonniers devraient être libérés, les lois justifiant leur condamnation n’existant plus. On pourrait rallonger à souhait la liste des conséquences absurdes qu’induirait la « thèse de la remise des compteurs à zéro », avec pour conséquence ultime, le blocage du fonctionnement de l’Etat faute de lois et de moyens, et l’impossibilité juridique d’une vie sociale normale.

Autrement dit, ce ne sont pas uniquement les mandats présidentiels passés d’Alassane Ouattara qui n’existeraient plus mais l’Etat et la société qui tous deux s’arrêteraient de fonctionner. C’est la raison pour laquelle, nulle part au monde, l’adoption d’une Constitution n’entraine pour un Etat donné, au plan de l’ordre juridique, une remise des compteurs à zéro. En revanche, tous adoptent le principe de la continuité de l’Etat avec pour corollaire le principe de la continuité législative, qui se présente comme une technique juridique ayant pour finalité de préserver, en tant que de besoin et dans l’intérêt de tous, la législation antérieure, pour permettre à l’Etat de fonctionner et pour assurer l’harmonie sociale. C’est le sens ainsi que la raison d’être, dans les cas de successions d’Etats ou de constitutions, des dispositions dites transitoires dont la fonction est d’établir une passerelle juridique entre l’ordre juridique nouveau et l’ordre ancien afin d’éviter tout vide juridique. Dans notre système constitutionnel, les articles 183 (Constitution de 2016), 133 (Constitution de 2000) et 76 (Constitution de 1960) remplissent ou ont rempli par le passé cette fonction. Ces dispositions ne sont nullement réduites à l’applicabilité des anciennes lois coloniales, ni aux seules lois infra-constitutionnelles comme certains ont pu l’écrire. Elles concernent toutes les lois, constitutionnelles comme ordinaires. Par l’effet de ces dispositions spéciales qui proclament la continuité législative, l’ordre juridique ancien reste en vigueur jusqu’à l’intervention d’une nouvelle loi, à moins que sa contrariété avec l’ordre juridique nouveau ne soit établie.

C’est à cause du principe de la non-rétroactivité de la loi nouvelle, et en raison de l’article 183 auquel les experts-rédacteurs ont tous fait référence s’agissant de l’impossibilité technique du troisième mandat, qu’il n’a pas été nécessaire de reprendre l’élection présidentielle de 2015, de re-célébrer les mariages ou de rendre leur liberté à tous les prisonniers.

C’est dire, que la limitation des mandats présidentiels autorisés à deux, qui procède de l’article 35 de la Constitution du 1er août 2000, disposition qui n’a pas été déclarée contraire à la Constitution du 8 novembre 2000 mais a plutôt été confirmée par l’article 55 de celle-ci, et dont la validité a été de surcroit prolongée par l’effet de l’article 183, n’a nullement été « effacée » ou « neutralisée » au plan de ses effets futurs. Elle s’impose par conséquent comme une condition d’éligibilité dont les effets doivent être établis pour compter du 1er août 2000. Un troisième mandat dans ces conditions violerait la Constitution. Le Conseil constitutionnel ne peut en donner une autre lecture.

La seule possibilité pour le Président Ouattara de neutraliser l’opposabilité de la limitation des mandats à sa candidature pour un troisième mandat, en dehors de la thèse de « la remise des compteurs à zéro » qui ne peut prospérer parce qu’elle le conduit à une violation de sa propre Constitution, reste la voie de la modification constitutionnelle. Mais là-aussi, il est trop tard !

Entretien réalisé par

Boga Sivori

Bogasivo64@gmail.com

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