Economie: Jean-Baptiste PANY (Economiste, Banquier et Sénateur) analyse la dette très onéreuse de la Côte d’Ivoire (ACTE-3 et fin)
8 min readJean-Baptiste PANY est économiste, à l’origine, puis banquier de profession, il est par ailleurs Sénateur de la République de Côte d’Ivoire, élu de la région du Gbôklè. La dette ivoirienne est devenue préoccupante, tout le monde en parle sans en être spécialiste. L’économiste et banquier JBP éclaire des lanternes dans cette contribution qui sera publiée en 3 actes. ACTE-3 et fin.
V – Que faut-il craindre du stock actuel de la dette souveraine de la Côte d’Ivoire et de son évolution ?
Neuf (9) inquiétudes majeures découlent des observations exposées ci-dessus :
- La première préoccupationconcerne la supportabilité du stock des dettes souveraines observé et/ou envisagé en Côte d’Ivoire :
Avec un PIB projeté à FCFA 41 951Mrds en 2022, la Côte d’Ivoire devrait être en mesure de supporter sans frictions un stock théorique de FCFA 29 366Mrds de dettes potentielles (70% de ce PIB). Au contraire, ses flux de ressources propres sont prévus à un niveau peu enthousiasmant d’environ FCFA 5 442Mrds en 2022 et semblentdéconseiller ce choix. Par ailleurs les dépenses courantes sont projetées à FCFA 3 498Mrds. Ellesformeront avec l’annuité de remboursement de FCFA 3 061Mrds que lui exige de décaisser le stock de la dette actuelle, la rondelette somme de FCFA 6 559 Mrds. (soit un déficit de 5 442 -6559 = -1 117). Que lui restera-t-il donc pour rembourser une dette de la taille de celle évoquée ci-dessus ? Le dernier réaménagement du stock de la dette n’a-t-il pas été motivé/contraint par la crainte de cette éventualité ?La situation financière projetée en 2022 avec un déficit de -FCFA 1 117 Mrds (-euros 1,7 Mrds) avant prise en charge des investissements, confirme que sans un emprunt supplémentaire la Côte d’Ivoire sera en défaut de payement du service de sa dette. Par ailleurs, elle ne sera plus capable, sans la dette ou les dons, ou les ressources exceptionnelles (privatisations et divers) de financer aussi les investissements projetés. Peut-on dans ces conditions dire que le stock actuel de dettes souveraines est supportable ?
- La seconde inquiétude concerne le coût annuel du stock de la dette qui est encore très élevé. Il contribue à réduire la capacité créatrice de richesse de l’Etat ivoirien. Bien qu’observée en hausse, la voilure des investissements en est directement et inévitablement impactée.
- La troisième inquiétude concerne le train de vie de l’Etat qui est tel que sans la dette, ce dernier ne peut pas financer une partie de ses dépenses courantes (ni honorer le service brûlant de la dette de l’administration centrale, comme indiqué ci-dessus).
Du coup, pour financer les dépenses d’investissement de survie pourtant très attendues ou espérées par la population, il faut encore accroître le stock de la dette. Dans un contexte où l’immigration exerce aussi une pression supplémentaire sur le besoin d’investissements de survie. Sauf erreur d’appréciation, la Côte d’Ivoire semble bien être entraînée par un cycle vicieux commandé par le stock de la dette souveraine, qui peine à prouver son inefficacité.
En dehors du PIB certes en hausse, mais qui n’est pas entièrement acquis à la caisse commune de l’Etat, la dette ou sa gouvernance éprouve des difficultés à créer suffisamment de richesses propres pour le budget de l’Etat. Inutile de rappeler que ce dernier est le seul garant du remboursement de la dette publique.
- La quatrième préoccupation est relative aux difficultés rencontrées pour captersuffisamment de ressources propres pour la caisse commune de l’Etat en dépit d’un PIB favorable.A défaut de créer plus de richesses nouvelles « taxables » en vue de renflouer les caisses de l’Etat, celui-ci pourrait être contraint tôt ou tard – comme ce fût le cas en Grèce – soit à accroître la pression fiscale (plus d’impôts), soit à réduire les dépenses budgétaires (moins de services publics et/ou réduction des salaires ou des effectifs), ou les deux à la fois.
- La cinquième préoccupation vient du fait que les derniers réaménagements de la dette obtenus ont reporté une partie significative de son remboursement à plusieurs échéances lointaines« En politique, l’on ne règle pas les problèmes, mais les déplace » ironisait souvent le PrésidentHouphouët. Cette observation semble confirmer que l’engrenage de l’économie ivoirienne est « grippé ». Sinon pourquoi reporter des échéances de dettes si l’on est suffisamment riche pour y faire face à bonne date et sauver sa réputation ?
Par ce fait, l’Exécutif ivoirien semble anticiper une richesse suffisante à moyen et long terme. Compte-t-il sur les dernières découvertes pétrolières ? La question concernant la capacité et surtout le besoin urgent de créer inévitablement plus de richesses ou de réduire le train de vie de l’État demeure.
Soit l’Exécutif estime que les investissements à venir, à induire par les dettes projetées, pourront cette fois-ci créer plus de richesses pour compenser les faibles performances des investissements passés, induits par le stock actuel de la dette, soit l’Exécutif compte sur de nouvelles opportunités de croissance (pétrole ou mine par exemple).
Dans tous les cas, dans un environnement où personne ne dispose d’une boule de cristal pour prédire l’avenir, il parait hasardeux de parier ainsi l’avenir des générations actuelles et futures. L’enjeu c’est justement l’avenir de la jeunesse et celui du pays.
- La sixième préoccupation est relative à l’environnement socio-politique qui semble contraster avec les options retenues en Côte d’Ivoire. Plusieurs questions pour comprendre cela. Comment un pays qui peine à créer les conditions d’une bonne réconciliation des politiques et du front social, ainsi qu’à garantir les libertés individuelles et collectives peut rassurer les bailleurs de fonds afin de réduire le coût du risque pays? C’est en effet l’unique explication crédible des charges financières élevées qui grèvent le service de la dette (FCFA 1016 Mrds de frais financiers prévus en 2022) ?
Comment réduire le besoin encore insatisfait d’investissements de survie avec le faible niveau de ressources affectées aux dépenses d’investissements annuels, par ailleurs réduits par le poids de la dette historique et par celui soupçonné de la corruption ?
- La septième préoccupation est le risque du financement abusif auquel s’exposent les bailleurs de fonds qui sont les contreparties actuelles de la dette publique ivoirienne.Les bailleurs de fonds qui sont les créanciers liés au stock problématique de la dette actuelle, pourraient être accusés d’avoir surendetté sciemment la Côte d’Ivoire sachant que ses ressources sont limitées. Les Parlementaires qui accompagnent cette stratégie, pourraient être eux aussi accusés de complicité.
- La huitième inquiétude tente de comprendre si la Côte d’Ivoire est réellement à l’abri d’une crise de la dette souveraine. Car la situation de tensions financières latentes plausible de la Côte d’Ivoire, sauf erreur est de plus en plus préoccupante.
Le pays dispose-t-il d’autres alternatives pour sortir de l’engrenage de la dette ?
Les leçons du passé peuvent-elles servir afin de mieux profiter de la manne pétrolière annoncée ou applaudie à Abidjan ?
La réponse à ces deux dernières questions est plus qu’actuelle.
- La neuvième préoccupation vise à savoir comment la Côte d’Ivoire compte circonscrire le risque de change auquel la gouvernance de plus de 60 % de sa dette souveraine demeure exposée. Il est utile d’indiquer que l’objectif de 66 % de la dette libellée en devisesest visé à partir de l’horizon 2023 (contre actuellement 63 %) si l’on considère l’euro comme une devise semblable aux autres. Dans le contexte où le pays s’apprête à changer de système monétaire avec l’avènement de l’Eco, il est primordial de rassurer les acteurs économiques et les citoyens sur la qualité de la gouvernance monétaire et sur celle de la gestion du stock de la dette.
Conclusion :
Doit-on voter le nouveau budget (2022) soumis au Parlement ivoirien sans se poser les questions vitales exposées ci-dessus, celles que se posent certainement les citoyens de ce pays africain ?
2010 dans la mémoire collective des grecs, rappelle que le déficit public avait grimpé à 12,7% du PIB et le taux prohibitif des obligations grecques avait empêché le financement sur les marchés. L’éventualité d’un défaut de paiement faisait alors trembler toute la zone euro.
Croisons les doigts afin d’éviter un tel sort à la Côte d’Ivoire ou pour ne pas faire mentir ou regretter le défunt Ministre ivoirien de l’économie et des finances, feu Charles Koffi Diby.
L’ex argentier de l’Etat ivoirien – après avoir précisé que la dette ivoirienne était de FCFA 6 396 Mrds en juin 2012 – avait indiqué que « la Côte d’Ivoire est désormais crédible aux yeux du Monde … Avec le point d’achèvement de l’initiative PPTE, ce sont 4.090 milliards qui ont été annulés. Restent donc 2.214 milliards à apurer les prochaines années. L’atteinte du PPTE permettra à la Côte d’Ivoire d’avoir une souplesse de gestion. Elle donnera certainement une marge de manœuvre. Mais, il faut être prudent dans la gestion des ressources. « L’obtention du PPTE n’est pas une valise d’argent à destination de la Côte d’Ivoire. Mais, lorsque vous consacrez le 1/3 de votre budget à payer la dette extérieure et que vous vous battez pour que cette dette soit annulée, ce que vous utilisez pour payer la dette extérieure, vous l’utiliserez désormais pour investir, pour créer le patrimoine et de la richesse dans le pays. Voilà pourquoi le PPTE est important.» (dixit feu Charles Koffi DIBY).
La contribution de tous serait la bienvenue.
Jean-Baptiste PANY
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