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Charles Blé Goudé: «Soro m’a félicité, je serai content si Hamed Bakayoko m’appelle. Que Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié s’asseyent autour d’une table et discutent…»

Charles Blé Goudé: «Soro m’a félicité, je serai content si Hamed Bakayoko m’appelle. Que Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié s’asseyent autour d’une table et discutent…»

Cinq mois après son acquittement (interview réalisée en juin 2019), l’ancien leader des Jeunes patriotes prépare son retour. Depuis La Haye, il raconte la prison, ses relations avec Laurent Gbagbo ou Guillaume Soro, et ses nouvelles ambitions politiques.
Charles Blé Goudé n’aime plus mettre le nez dehors. L’ancien leader ivoirien qui électrisait les meetings, le charismatique « général de la rue » qui mobilisait les jeunes évite la foule désormais. Six ans d’enfermement, cela laisse des traces. Depuis son acquittement de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI) en janvier dernier, l’ex-ministre de la Jeunesse et compagnon d’infortune de Laurent Gbagbo savoure sa victoire mais n’a toujours pas réussi à quitter les Pays-Bas.
À quelques kilomètres seulement de la prison de Scheveningen, il vit dans la chambre d’un hôtel huppé et impersonnel, encadré par des agents de sécurité. Pas vraiment emprisonné, pas vraiment libre non plus, il lit, regarde des séries, se délecte des derniers titres de zouglou et contemple un horizon souvent bouché.
En attendant un éventuel appel du procureur, les juges de la CPI ne lui ont accordé qu’une sortie sous condition. Charles Blé Goudé a interdiction d’évoquer son dossier. Pas un mot, donc, sur la crise postélectorale de 2010-2011, pas un mot sur son rôle précis dans une décennie de violences. Tout juste suggère-t-il qu’il a des « regrets » après des déclarations qui ont « traumatisé ».
Désormais blanchi, il ne veut plus entendre parler des Jeunes patriotes et tente de se refaire une image et un nom. Costume bleu foncé, cravate ajustée, faconde intacte et regard perçant, à 47 ans, il promet qu’il faudra de nouveau compter avec lui. Lui qui rêve d’un avenir d’homme d’État n’a rien perdu de ses vieux réflexes : il change régulièrement de puce téléphonique, comme au temps de la clandestinité. Ni tout à fait le même ni tout à fait un autre.

Jeune Afrique : Lorsque le juge de la CPI a annoncé que vous étiez acquitté, le 15 janvier dernier, vous êtes resté stoïque. À quoi pensiez-vous ?
Charles Blé Goudé : Je me suis souvenu de tous ceux qui disaient qu’aller à la CPI était un voyage sans retour. Moi, j’ai toujours eu confiance en la justice et, à cet instant, j’ai pensé que j’avais eu raison.

Pendant les cinq années que vous avez passées à Scheveningen, avez-vous eu des moments de désespoir ?
Je n’ai jamais eu peur car les faits parlaient pour moi. Mais je savais qu’il faudrait du temps pour que la vérité éclate. J’étais heureux que cela arrive enfin. Pour mes enfants, à qui je ne léguerai pas un nom ensanglanté, pour mes partisans et pour la Côte d’Ivoire, qui savent désormais que leur fils n’est pas un criminel international. Je marche la tête haute et j’ai les mains propres.

LA PLUPART DES GRANDS HOMMES ONT ÉTÉ DANS UN PREMIER TEMPS REJETÉS PAR LEUR ÉPOQUE, C’EST AVEC LE TEMPS QU’ILS ONT ÉTÉ COMPRIS
Si tout ce qui vous était reproché était faux, comment expliquez-vous avoir été poursuivi pour crimes contre l’humanité ?
C’est une question que j’ai toujours refusé de me poser, sinon j’aurais perdu le moral. C’était ma destinée.

Avez-vous des rancœurs ?
J’ai tout fait pour qu’on ne puisse pas se servir de la prison pour m’abattre moralement. J’en sors sans rancune et sans haine. Malheureusement, la plupart des grands hommes ont été dans un premier temps rejetés par leur époque, c’est avec le temps qu’ils ont été compris.

Comment occupiez-vous vos journées ?
La prison n’est pas un lieu de villégiature ! Croyez-moi, je n’y étais pas heureux. Mais pour paraphraser Nelson Mandela, la prison n’est pas seulement un lieu d’enfermement, c’est aussi un lieu d’enseignement. Pendant toutes ces années, j’ai tenté de faire en sorte que ce ne soit pas du temps perdu, mais du temps gagné. Plutôt que de m’apitoyer sur mon sort, j’en ai profité pour lire et me cultiver.

Que lisiez-vous ?
La Bible. Je crains l’Être suprême. J’ai lu aussi quelques essais politiques, et surtout mon dossier. Car le premier avocat de Charles Blé Goudé, c’était Charles Blé Goudé. Je veux être l’acteur principal de ma vie. Je suis comme les fleuves, j’aime faire mon propre lit.

J’AI LU LA BIBLE, QUELQUES ESSAIS POLITIQUES, ET SURTOUT MON DOSSIER. CAR LE PREMIER AVOCAT DE CHARLES BLÉ GOUDÉ, C’ÉTAIT CHARLES BLÉ GOUDÉ

Quelles étaient vos relations avec les autres prisonniers de la CPI ?
Derrière les barreaux, j’étais coiffeur, j’étais cuisinier. La prison m’a appris deux choses : la patience et la solidarité. Laurent Gbagbo, Jean-Pierre Bemba, Bosco Ntaganda, Dominic Ongwen… Nous sommes une famille maintenant, nos liens sont sacrés. Pendant cinq ans, on a tout partagé, on mangeait et on jouait au ballon ensemble.

Vous jouiez à quel poste ?
J’ai toujours été un attaquant !

Depuis votre libération, quelles sont vos relations avec l’ancien président Laurent Gbagbo ?
C’est mon papa. Ces années de prison nous ont encore rapprochés. Nous avions déjà traversé beaucoup d’épreuves ensemble. En 2000, il faisait face à Robert Gueï, je l’avais rejoint. En 2002, nous étions confrontés à une rébellion armée : j’étais à ses côtés. Et finalement, à la CPI, dans ce trou sans fond, j’étais là. C’est cela, ma loyauté. Ce qui me lie à lui, c’est une cause, ce sont des valeurs, c’est un combat.

CEUX QUI PENSENT QUE LAURENT GBAGBO VA DÉSIGNER UN DAUPHIN NE LE CONNAISSENT PAS
Estimez-vous être son héritier politique ?
Non, je veux être maître de mon histoire. Laurent Gbagbo n’a été l’héritier de personne et je veux lui ressembler. C’est un homme qui, comme moi, est encore dans les liens de la détention alors qu’il a sacrifié sa vie pour la Côte d’Ivoire. Nous lui devons beaucoup, à commencer par la démocratie.

Et lui, souhaite-t-il que vous soyez son dauphin ?
Ceux qui pensent que Laurent Gbagbo va désigner un dauphin ne le connaissent pas. Beaucoup pensent savoir qui il est : ils prennent un café avec lui, ils rient avec lui – le président est très chaleureux – et ils disent : « C’est mon ami. » Mais ils se trompent. Laurent Gbagbo aime ceux qui dessinent leur chemin, qui sont dans l’action, pas ceux qui prennent des routes déjà tracées.

Comment va-t-il ?
Je sais qu’il est en Belgique et qu’il va bien. Très bien, même.

Vous appelle-t-il ?
On se parle quand c’est nécessaire. Pour le moment, ça ne l’est pas. Nous avons eu tout le temps de nous parler en prison. Maintenant, il a besoin de se reposer et de se refaire une santé.

Quelles sont ses ambitions politiques ?
Il faut le lui demander. Sachez en tout cas que Laurent Gbagbo sait ce qu’il veut, ce qui est bon pour son pays et pour lui-même.

Son retour ne risque-t-il pas de créer des troubles ? C’est ce que certains craignent…
Je crois au contraire que Laurent Gbagbo peut encore apporter beaucoup à la Côte d’Ivoire.

Vous étiez considéré comme l’un des plus durs de son régime. Comprenez-vous ce que l’on vous reprochait ? Les discours violents, les slogans haineux…
On ne peut jamais faire l’unanimité. Pour les uns, vous êtes un héros, pour les autres, vous êtes le diable. J’estime avoir fait ce qui est bien pour mon pays. Il y avait une incompréhension entre différents clans, c’est ce qui nous a menés à la guerre. Aujourd’hui, je tends la main à ceux qui ne m’ont pas compris hier.

J’ATTENDS TOUJOURS QU’ON ME MONTRE LES DISCOURS DANS LESQUELS JE SUIS ANTIFRANÇAIS ET J’AURAIS DEMANDÉ QU’ON LES CHASSE
Les discours contre les étrangers, et en particulier les Français, les regrettez-vous ?
J’attends toujours qu’on me montre les discours dans lesquels je suis antifrançais et j’aurais demandé qu’on les chasse. Tout ça, c’est de la propagande.

La prison vous a-t-elle changé ?
Elle change tous les hommes. Et puis, j’ai pris de l’âge.

Vous êtes-vous assagi ?
Non, je ne suis plus jeune, mais je n’ai pas dit que j’étais sage.

En août, votre parti, le Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep), tiendra son congrès. Espérez-vous être de retour d’ici là ?
Le Cojep aura 18 ans, c’est l’âge de la maturité. En août, nous allons évaluer notre parcours et dire qu’il faudra à nouveau compter avec Charles Blé Goudé.
N’oubliez pas qu’avant notre acquittement tout le monde nous vouait aux gémonies, Laurent Gbagbo et moi. Faites attention, en politique, on ne sait jamais ce qui peut se passer.

Referez-vous de la politique à votre retour en Côte d’Ivoire ?
On ne prend pas sa retraite à 47 ans. Tant que vous n’avez pas assisté aux obsèques d’un homme politique, ne le déclarez jamais fini.

Vous a-t-on enterré trop tôt ?
Beaucoup ont tenté de le faire. Mais je finirai par rentrer chez moi et je prendrai ma part. Je suis patient.

Pour faire de la politique, il faut de l’argent. Des câbles diplomatiques révélés par WikiLeaks disaient que vous étiez un « businessman prospère », propriétaire de bars, de stations-service. Est-ce encore le cas ?
Ce ne sont que des mensonges ! Fouillez dans toutes les banques, vous ne trouverez rien ! Pendant la crise, on m’a même annoncé que l’on gelait mes comptes à l’étranger, mais ils ont fini par lever ces sanctions, car ces comptes n’ont jamais existé.

UN JOUR, J’AIMERAIS DIRIGER MON PAYS. MAIS J’AI TOUT MON TEMPS. JE SAIS QUE LA CÔTE D’IVOIRE M’ATTEND
Rêvez-vous à la présidence ?
Un jour, j’aimerais diriger mon pays. Mais j’ai tout mon temps. Je sais que la Côte d’Ivoire m’attend.

Souhaitez-vous être candidat en 2020 ?
Ne réduisez pas la vie de la Côte d’Ivoire aux aiguilles d’une montre… 2020, 2025, cela n’a pas d’importance.

Pendant la crise, vous aviez donné rendez-vous à Guillaume Soro pour la présidentielle de 2015…
Laissez-moi d’abord sortir de la situation dans laquelle je suis.

Guillaume Soro est une vieille connaissance. Avant qu’il soit le chef de la rébellion que vous avez combattue, vous avez dirigé la Fesci (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire) avec lui…
Nous étions à l’école ensemble et nous avons également milité côte à côte à la Fesci. C’est un passé que je ne renie pas.
J’ai été son secrétaire national. Pendant deux ans et demi, lorsqu’il se déplaçait, je devais assurer sa sécurité. Ce n’est pas rien. Cela crée des liens sacrés. Je vais vous étonner : savez-vous qui m’a surnommé « le génie du Kpô » ? C’est Guillaume Soro ! Puis nos routes ont divergé.

Pourraient-elles se recroiser ?
Celles d’Henri Konan Bédié et d’Alassane Ouattara ont bien fini par se recroiser, non ? Ils étaient pourtant de farouches adversaires.

Guillaume Soro vous a-t-il joint depuis votre libération ?
Je l’ai eu au téléphone. Il m’a félicité. Il m’a dit qu’il était très content que je sois libéré.

Recevez-vous d’autres appels… De Hamed Bakayoko, par exemple ?
Non, mais s’il m’appelle je serai heureux de lui parler. Je n’ai aucune animosité envers lui.

Soro, Bakayoko, Blé Goudé… C’est la nouvelle génération de politiques ivoiriens ?
C’est une évidence ! Le temps viendra où nous arriverons aux responsabilités.

Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié semblent se rapprocher. Est-ce une bonne chose ? Vous avez passé votre vie à combattre Bédié… Sous sa présidence, vous êtes allé huit fois en prison.
Il ne faut pas aller trop vite en besogne. Des personnalités politiques qui, hier, ne se comprenaient pas se sont rencontrées. Je m’en réjouis, mais il y a des alliances naturelles et d’autres qui sont contre-nature. Cela dit, je tends la main à tout le monde. Même à Alassane Ouattara.

Le chef de l’État n’exclut pas d’être candidat à un troisième mandat. Il en a le droit depuis l’adoption de la nouvelle Constitution, en 2016. Qu’en pensez-vous ?
Le problème, ce n’est pas seulement de savoir ce qui est permis ou ce qui ne l’est pas. C’est une question d’éthique.

Craignez-vous de nouvelles tensions à l’approche du scrutin ?
Il faut que nous tirions les leçons de notre histoire. Nos jeunes n’ont jamais assisté à une passation de pouvoir pacifique : Bédié est parti lors d’un coup d’État, Gueï a été chassé par la rue, Gbagbo a été bombardé par la France. Je ne souhaite plus cela à mon pays. Arrêtons de réduire son avenir à nos ambitions personnelles. L’histoire ne nous le pardonnera pas.

PENDANT DES ANNÉES, ON DISAIT QUE LE PROBLÈME, C’ÉTAIT GBAGBO ET BLÉ GOUDÉ. MAIS LORS DES DERNIÈRES ÉLECTIONS, NOUS ÉTIONS EN PRISON. DONC LE PROBLÈME, CE N’EST PAS NOUS
Je propose que l’on tienne un forum pour que Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié s’asseyent autour d’une table et discutent. Il y a des signaux inquiétants. Pour un rien, cela s’embrase : les municipales, il y a eu des morts, les législatives, il y a eu des morts, les régionales… Où est le problème ? Pendant des années, on disait que c’était Gbagbo et Blé Goudé. Mais lors des dernières élections, nous étions en prison. Donc le problème, ce n’est pas nous.

Jeuneafrique.com | 09 juin 2019 à 13h05 | Par Anna Sylvestre-Treiner – envoyée spéciale à La Haye
Mis à jour le 12 novembre 2019 à 16h01